· 

Jardin de l'école Du Breuil : un potentiel jardin pour déficients visuels ?

Le jardin de l’école Du Breuil est un lieu où se croisent élèves, professeurs, jardiniers et visiteurs. Les échanges sont nombreux et les jardiniers sont toujours prêts à répondre aux questions.  En 2015, lors de l’une de ces discussions, la responsable de la rocaille de l'époque m’a parlé d’un projet de jardin pour aveugle qu’elle aimerait mettre en place à l’école.

Je me suis alors interrogée sur l'intérêt de faire un bout de jardin pour une population spécifique alors que la totalité du jardin est certainement merveilleuse pour tous. Chacun pouvant y trouver les éléments qui le font vibrer.

Mais alors, en quoi le jardin de l’école Du Breuil pourrait être un beau jardin pour les personnes déficientes visuelles ?

Présentation du site

Plan du jardin de l'école Du Breuil. © Sandrine Tellier

Le jardin de l’école se compose de plusieurs jardins :

  • La cour d’honneur et son jardin à la française ;
  • Le jardin paysager (jardin anglais);
  • La rocaille ;
  • La roseraie ;
  • Le jardin des plantes grimpantes ;
  • La pépinière ;
  • Le fruticetum ;
  • Le jardin de présentation de la collection des plantes saisonnières ;
  • Les serres ;
  • Le potager ;
  • Le verger ;
  • Le jardin de vivaces ;
  • La collection de systématiques.    

La promenade des 4 sens

La rocaille

Rocaille l'été : damier de sagine et fleurs colorées. © Sandrine Tellier
Rocaille l'été : damier de sagine et fleurs colorées
Ambiance cosi et ombragée de la rocaille. © Sandrine Tellier
Ambiance cosi et ombragée de la rocaille
Rocaille l'hiver : quelques arbres dénudés et sol apparent. © Sandrine Tellier
Rocaille l'hiver

Le jardin de rocaille est l’une des rare parties de l’école où il y a de petits dénivelés à franchir pour profiter des différents types de rocailles. Son approche peut donc sembler difficile, mais la récompense est au prix de cet effort.

On se retrouve alors dans une ambiance cosi et ombragée, un lieu intime, dont la terre, un peu à nu l’hiver, apporte des senteurs de sous-bois auxquelles se mêle la puissante et délicieuse odeur du sarcococca.

On ressent parfois le vent et le froid qui passent à travers les arbres dénudés.

« J’aime la nature quand elle m’entoure de toute part pour s’ouvrir ensuite vers le lointain, jusqu’à l’infini, et que j’ai l’impression d’en faire partie. Quand je suis enveloppé par l’air chaud et que cet air se perd dans le lointain infini ; quand ces brins d’herbe juteux, que j’écrase en m’asseyant dessus, rappellent le vert de champs infinis ; quand ces mêmes feuilles qui, agitées par le vent, déplacent les ombres sur mon visage, tracent la silhouette du bois lointain ; quand, tout près de moi, une multitude d’insectes bourdonnent et essaiment, les coccinelles rampent, les oiseaux remplissent l’air de leur chant. »

Journal, Tolstoï

Aux beaux jours, violette, lavande, nepeta et santoline prennent le relai olfactif dans une ambiance plus chaleureuse et plus ensoleillée. Nous pouvons alors nous assoir à l’ombre du grand chêne vert avec le doux murmure d’une petite cascade alimentant le ruisseau qui traverse la rocaille d’est en ouest.

Il n’est pas rare d’entendre le criaillement d’un faisan habitué des lieux.

« J'aime fort les jardins qui sentent le sauvage, 
J'aime le flot de l'eau qui gazouille au rivage. »

Pierre de Ronsard

Jeune crosse d'osmonde royale douce au toucher. © Sandrine Tellier
Jeune crosse d'osmonde royale

Assis, au niveau des plantations, la main peut alors explorer la diversité des textures alentour : 

 

  • La douceur des crosses de l’osmonde royale, des coussins de dianthus gratianopolitanus et de sagine, de la mousse sur les pierres.
  • La sensation lisse et charnue du sedum spathulifolium ou des inflorescences de muscari qui forment comme des billes sous les doigts.
  • Le piquant des aiguilles du pinus mugo taillé en nuage à niveau d’homme, ou des petites euphorbes myrsinites au pied des pierres.
  • Le contraste entre les pierres lisses et rugueuses.

Toucher les écorces des arbres de la rocaille en bordure de chemin est une expérience intéressante :

  • Le chamaecyparis donne l’impression qu’il desquame par lanières longues et fines.
  • Le pin mugo et ses écailles très rugueuses nous offre la surprise de s’adoucir lorsque les doigts passent successivement sur les lichens puis les mousses qui en recouvrent les branches.
  • Le quercus ilex (chêne vert) est très ravinée.
  • Les acer palmatum (érables palmés) présentent quelques aspérités.
  • Enfin, les carpinus betulus (charmes), sont doux et lisses.    

Jardin paysager

De la rocaille, un jour de vent, nous pouvons suivre le parcours de ce dernier dans les bambous qui longent l’étang. Leur proximité permet même d’en effleurer les canes et d’imiter le vent lorsqu’il ne souffle plus.

Le passage sous le Cercidiphyllum japonicum (arbre aux caramels) surprend l’odorat par ses effluves sucrés.

Les bambous se font plus aériens et doux sous les doigts : ils laissent la place à des graminées. Le sol se fait plus mou, l’air plus humide, la progression devient plus difficile à cause des pneumatophores du Taxodium distichum (cyprès chauve) : nous arrivons près de l’étang. Par temps de pluie, les gouttes résonnent à la surface de l’eau et battent la mesure sur les larges feuilles d’un gunnera.

Les doux chatons du noisetier tortueux. © Sandrine Tellier
Noisetier tortueux

 

 

 

Un nouveau passage frôlant les bambous, et le sol change. Nous sommes sur une allée plus large, en stabilisé, dure sous le pied, et où les pas font un bruit léger. Dans un virage, quelque chose chatouille l’épaule. C’est un chaton du corylus avellana ‘Contorta’  (noisetier tortueux), duveteux et doux qui se balance au vent, pendu à une branche tortueuse. La récolte estivale de noisettes savoureuses s’annonce bien.

Ginkgo biloba. © Sandrine Tellier
Ginkgo biloba

 

 

 

A l’automne l’odeur nauséabonde des ovules du ginkgo biloba femelle fait allonger le pas. Même l’odeur agréable de l’écorce de pin broyée en paillage des massifs de camélias tout proches ne suffit pas à nous retenir en ce lieu. Pourtant les ovules du ginkgo sont utilisés grillés ou bouillis en Asie à l’apéritif pour accompagner une boisson alcoolisée. Il pourrait être intéressant d’en ramasser pour essayer...

Diospyros kaki. © Sandrine Tellier
Diospyros kaki

 

 

 

 

Un peu plus loin, l’attention est attirée par les piaillements incessants des sansonnets et les pies qui se régalent des beaux fruits charnus du diospyros kaki (plaqueminier) isolé sur la grande pelouse, mais à proximité du chemin. Les branches sont trop hautes pour cueillir un fruit, mais ceux arrivés à maturité tombent à terre, permettant ainsi d’y gouter.

Roseraie

« Et semblable à l'abeille en nos jardins éclose,
 De différentes fleurs j'assemble et je compose


Le miel que je produis.
 »

Odes III - Jean-Baptiste Rousseau

Nos pas nous guident maintenant dans un espace plus intime, ombragé.

En été, les effluves merveilleuses des roses accompagnent la promenade (rosa seagull, Guilaine de Féligonde, …), ainsi que le bourdonnement incessant des abeilles, bourdons et autres pollinisateurs.

En hiver, c’est le son du vent dans les feuilles sèches de la charmille marcescente, bordant les arcades de rosiers grimpants, qui fait parvenir au promeneur une musique ressemblant à la mélodie d’un bâton de pluie.

Différents types de sols de la roseraie. © Sandrine Tellier
Différents types de sols de la roseraie

Soudain, l’espace s’ouvre, nous ne sommes plus à couvert. Les gloussements d’une gallinule (poule d’eau) se font entendre. Elle semble s’enfuir d’un bassin.

En traversant la roseraie, différents sols se font sentir sous les pieds : 

  • Des écorces de pin, revêtement mou, dans lequel les pas font de légers craquements.
  • Des graviers qui crissent et croustillent sous les pieds. On les sent qui roulent sous la chaussure.
  • De la pelouse, comme un tapis étouffant le bruit des pas.
  • Des lattes de bois qui semblent dures et où les pas raisonnent.

 

« Les hommes de chez toi, dit le petit prince, cultivent cinq mille roses dans le même jardin... et ils n'y trouvent pas ce qu'ils cherchent... (…) Et cependant ce qu'ils cherchent pourrait être trouvé dans une seule rose ou un peu d'eau... (…) Mais les yeux sont aveugles. Il faut chercher avec le coeur. »

Le petit Prince, chap. 25 – Antoine de Saint Exupéry

Graines d'Euphorbe characias qui explosent en séchant. © Sandrine Tellier
Euphorbe characias

 

 

 

 

 

 

En été, les différents bruits de pas accompagnent le claquement répété des graines de l’euphorbe characias qui explosent en séchant.

Jardin régulier

En remontant la roseraie, l’ambiance se fait plus bouillonnante, les discussions vont bon train. La promenade mène aux bâtiments de l’école où les élèves en horticulture ont cours. C’est souvent l’effervescence, la cloche sonne le début et la fin de chaque cours.

Les bâtiments en forme de U abritent le jardin régulier de la cour d’honneur où les espaces engazonnés sont séparés par des petits passe-pieds en gravillons très ‘croustillants’ où le pied s’enfonce.

 

Ce jardin est le lieu qui reçoit chaque année la création de l’école pour le concours de la ville de Paris en catégorie Jardin Botanique (avec Bagatelle, le Parc Floral et les serres d’Auteuil). A la fin du printemps 2015, c’est le thème du tapis qui est à l’honneur avec une multitude de plantes douces au toucher (stipa tenuifolia, fleurs d’ageratum, coussins de lysimaque rampante), odorantes (pétunias), aromatiques (différentes sortes de basilic, sauge, persil), comestibles (capucine).

Le tapis est travaillé selon le concept de trame et de chaine suivant un quadrillage de carrés de 40cm de côté. Certains sont plantés, d’autres reste engazonnés formant ainsi des coussins moelleux.

Ce tapis central est entouré de quelques ifs taillés en cône dont les nouvelles pousses sont très douces à toucher.  

« Se retenir à une touffe d’herbe : contraste émouvant entre l’énergie extraordinaire de la prise et ce brin de graminée si fragile.»

Rhumbs -
Paul Valery

Fruticetum

Las de l’effervescence de la cour d’honneur, nous pouvons emprunter le chemin couvert de la collection de grimpantes. Les 4 sens y sont à l’honneur avec la collection de bambous attenante qui bruisse en permanence, les grimpantes parfumées comme le trachelospermum (jasmin étoilé) ou le lonicera (chèvrefeuille), les grimpantes comestibles comme l’actinidia (kiwi) et les plantes au toucher particulier comme le rubus (ronce) aux épines acérées.

Le chemin nous mène dans un lieu calme cerné par des arbustes. On y entend les passereaux (mésange, rouge-gorge, moineau) chanter et fouiller les feuilles à terre.

 

Butineuse sur fleurs de Deutzia Scabra. © Sandrine Tellier
Butineuse sur fleurs de Deutzia Scabra

 

 

 

Les bourdonnements d’insectes pollinisateurs dans les arbustes en fleurs comme le deutzia scabra ‘Thunb’ attire nos pas plus près. La main se pique aux épines du berberis ou de l’aralia elata ‘Variegata’, caresse les chatons longs et doux du Garrya elliptica et s’attarde sur les fruits de l’aucuba ronds, lisses et un peu moelleux.

Dessin du fruticetum (pastels). © Sandrine Tellier
Dessin du fruticetum (pastels)

 

 

 

Un peu plus loin, un son de papier froissé s’échappe des fleurs séchées du leycesteria formosa ‘Wallioh’ que l’on effleure.

Selon la saison, cette promenade au fruticetum s’accompagne des effluves du sarcococca, du lonicera frangantissima, du choysia ternata ‘sundance’, du ligustrum obtusifolium ‘Siebold and Zucc’ ou du philadelphus virginalis ‘Lemonei’.

« Pour prix des soins que tu leur donnes,

Tes arbustes reconnaissants

Et des printemps et des automnes

Te prodiguent les doux présents. »

Au maitre d’un jardin Poésies mêlées – Antoine-Vincent Arnault

Jardin de présentation de la collection des plantes saisonnières

Depuis le fruticetum, nous traversons le terrain de sport des élèves pour atteindre le jardin de présentation de la collection des plantes saisonnières. L’étendu de cet espace totalement ouvert se ressent après l’intimité du fruticetum. Les cris des joueurs retentissent et nous ne somme pas à l’abri de recevoir un ballon perdu…

 

La collection de saisonnières présente essentiellement des plantes annuelles (ou cultivées en annuelles sous nos latitudes) et des arbustes nécessitant d’être remis en pot en serre pour passer l’hiver.

 

Aux abord des collections, le vent fait bruisser les feuilles des trembles et l’on peut apprécier le contraste entre l’écorce lisse du betula utilis (bouleau blanc), l’alternance lisse et rugueux de l’écorce du Prunus canescens x serrula, l’aspect grumeleux de celle du populus tremula (tremble) et l’effet de peau qui desquame du betula rubra (bouleau noir).    

Il faudrait presque visiter cette collection à quatre pates afin d’en apprécier la multitude des textures de feuillages et des formes de fleurs. Mais c’est l’odorat qui est le plus à l’honneur ici et certainement le plus surpris en découvrant que de nombreuses plantes ont des feuillages odorants :

  • Le citrus hispix et son odeur de citron ;
  • Le lantana camara et son odeur aromatique ;
  • L’agastache aurantiaca 'apricot sprite' et son odeur de menthe ;
  • La salvia elegans (sauge ananas) et son odeur d’ananas ;
  • L’heliotropium arborescents ‘marine’ dont la fleur sent le pain d’épice.    

« Le monde de la réalité a ses limites ; le monde de l’imagination est sans frontière. »

JJ Rousseau

Collection de saisonnières en fin de printemps. © Sandrine Tellier
Collection de saisonnières en fin de printemps

Verger et potager

Potager (graphite). © Sandrine Tellier
Potager (graphite)

Le potager est un lieu calme, cerné de murs qui atténuent le bruit de l’autoroute A4 toute proche, et particulièrement chaud en été. Accompagné du jardinier responsable du potager, nous pouvons y sentir nombre de plantes aromatiques, y gouter petits fruits (fraises, groseilles, cassis, framboises, raisin, …) et légumes (petits pois, fèves, …).

C’est également un lieu de rencontre avec les jardiniers venant grignoter un petit fruit entre deux plantations.

 

La gallinule, qui a fait son nid dans la petite mare du coin du potager, profite elle aussi des fruits et légumes savoureux. Dérangée, elle fuit dans un gloussement.

 

Le verger, quant à lui, au bout du terrain, permet de cueillir et déguster à maturité les fruits que l’on palpe au dessus de nos tête : cerises, abricots, pêches, pommes, poires, …

 

L’heure de la sieste, allongé dans l’herbe moelleuse à l’ombre d’un cerisier, est arrivée…

« Le bonheur est une petite chose que l’on grignote, assis par terre au soleil » 

Jean Giraudoux

Un essai de jardin sensoriel : Jard’intégration

En 2015, un jardin sensoriel a été créé, dans le cadre d’un projet de licence professionnelle, par 2 élèves (Enzo Arcidiacono et Yann Chichignoud) accompagnés de l’association ‘Jardins Pluriels’ et soutenus par la Fondation Truffaut. Le projet ‘Jard’intégration’ est arrivé deuxième du 1er concours régional "Projets d'avenir" organisé par la Fondation d’entreprise Georges Truffaut pour promouvoir l'hortithérapie. Le jardin a été inauguré fin mai lors des journées portes ouvertes de l’école.

Chemin sensoriel pour déficients visuels : Jardintégration, 2015. © Sandrine Tellier
Chemin sensoriel pour déficients visuels : Jardintégration, 2015

 

Ce chemin sensoriel a été conçu pour valoriser le jardin des 4 sens (ouïe, odorat, toucher et gout) auprès de tous tout en étant adapté aux mal et non-voyants. Il s’organise autour de 3 zones :

 

  • La zone odorante avec des plantes odorantes au toucher intéressant.
  • La zone de rencontre, gustative et médicinale avec des bancs, des plantes médicinales et des petits fruits.
  • La zone auditive avec des plantes sonores sous le vent ou l’action des mains (bambous, graminées, …)

 

Cette initiative est intéressante pour tous via :

  • La découverte de plantes particulières ;
  • Son rôle pédagogique auprès des enfants ;
  • Son rôle sociologique en terme d’appréhension du handicap ;
  • L'introspection et la redécouverte des sens parfois négligés au jardin.

 

Plus d'informations sur :

Et alors ?

S'interroger sur les aspects sensoriels, autres que la vue, d'un jardin permet de réapprendre à utiliser les sens que l'on néglige en général : l’ouïe, l’odorat et le toucher. Or, ce sont ces trois sens en particuliers, plus que la vue, qui éveillent les souvenirs : une odeur, un bruit, une texture font rapidement ressurgir des émotions de son enfance.

 

Quant au goût, le potager de l'école montre qu'il peut être à l’honneur dans un jardin sans pour autant négliger l’aspect esthétique : réveiller et donner du volume à un massif fleuri avec un pied d’artichaut, créer la surprise en associant les couleurs de légumes, ponctuer un chemin de fruits rouges…

 

Le jardin de l'école Du Breuil est un véritable régal pour tous les sens et donc un beau jardin aussi bien pour les voyants que pour les non voyants !

Bibliographie

  • Jeff Cox et Jerry Pavia, Jardins des sens, Paris : Abbeville Press France 1993
  • Christian Badot, Jardintégration – Un rêve devenu réalité, Nature&Progrès Belgique

Crédit photos et dessins : Sandrine Tellier (sauf précision contraire en légende de photo)

🦊 Cet article vous a plu ? Inscrivez-vous à la newsletter pour être informé des nouveautés ! 🦋


 🦊 Vous voulez chouchouter votre jardin ? 🦋 

 Offrez-vous le

Calendrier perpétuel de jardinage écologique !

Un outil simple pour s'occuper de son jardin en respectant la biodiversité !

Format A4 paysage - Papier recyclé - 20€TTC



Écrire commentaire

Commentaires: 0